N°5

Ils furent mariés la semaine qui suivit. Le jour de la cérémonie fut très difficilement supportable pour la mariée qui partout, où elle allait, entendait parler d’Amicia. Cherchant un endroit où s’isoler, elle se réfugia dans l’ancien réduit qui lui avait servi de chambre. Malheureusement, elle fut suivi quelques instants après par Aelys et ses grands-parents.
- Je la déteste, s’exclamait l’enfant.
- Elle est la même personne que celle que tu aimais et réclamais, il y a encore quelques jours. Lui répondit Ector.
- Mais maintenant, elle veut prendre la place de maman !
- Personne ne lui en laissera le loisir, murmura-t-il et reprit plus fortement. Non, elle va juste devenir la seconde épouse de votre papa, tout comme lui était le second époux d’Amicia.
- Elle va avoir un bébé en plus, c’est papa qui me l’a dit. Il ne va plus nous aimer.
- Bien sûr que si, intervint sa grand-mère. Il vous aime plus que tout au monde et n’aimera jamais un enfant plus que vous. Vous êtes les bébés d’Amicia et représentez tout pour lui.

Dans son réduit, Gaëlle étouffa un sanglot. Héliape venait de lui confirmer ses pires craintes. Guy n’agirait jamais avec son enfant comme il le faisait avec Aelys et Guillaume. Elle se promit de ne jamais négliger son bébé et le faire passer avant tout et toute personne.
- Tu crois que papa va oublier maman ?
- Jamais ma chérie. D’ailleurs, si tu allais le voir ? Je crois qu’il était parti lui rendre visite sur sa tombe.
- Oui !

La petite partie, Ector et Héliape restèrent seuls dans la nursery.
- Aucune mère ne devrait assister au remariage de son gendre. Il souille sa mémoire !
- Il accède à une autre chance de bonheur.
- Elle a bien réussi à lui mettre le grappin dessus ! Un enfant … ce fut rondement mené. D’abord le repousser et ensuite se faire mettre enceinte.
- T’entends-tu parler ?
- Tu es aveuglé parce qu’elle est la fille d’Elisabeth et Kendall ! Mais n’oublies pas qu’elle a été élevée par sa très opportuniste de tante ! Elle n’a rien à voir avec ses parents.
- Si je suis aveuglée, tu l’es aussi Héliape. Ce n’est pas vraiment toi qui parles, mais ta douleur. Tu lui en veux d’être là bien vivante aux côtés de Guy alors qu’Amicia est morte.
- Comment fais-tu ? Comment y arrives-tu ? Elle me manque tellement !
- Elle me manque aussi, lui répondit son mari tout en la consolant. Mais Amy aimait la vie, elle n’aurait pas voulu que nous cessions de vivre avec elle. Alors, je fais ce que je peux pour honorer sa mémoire, je vis. J’aimerai tant que vous le fassiez aussi, Guy, les enfants et toi.
- Crois-tu que ce mariage sera heureux ?
- Je l’espère, cette pauvre petite a déjà bien assez supporter mais je crains le pire.
- Il n’était pas prêt ?
- Dans un sens oui, il la voulait mais il n’est pas prêt à laisser Amy derrière lui. Ce mariage se fera à trois ou ne se fera pas.

Ector emmena alors sa femme à l’extérieur. Aucun d’eux n’avait vu Gaëlle qui sortit de son ancienne chambre en chancelant. Une nausée la prit brusquement, elle dut s’allonger sur le lit de Guillaume. Personne ne croyait en leur union, elle-même n’y croyait pas. Qu’allait-elle devenir ? Elle n’avait aucune réponse et était trop fatiguée pour en chercher. Ses paupières s’alourdirent et elle finit par s’endormir.

Craignant qu’elle ne se soit encore une fois enfuie Guy chercha son épouse de longs instants avant de la trouver profondément endormie sur le lit de son fils. Elle était si fragile et si jeune qu’il se demanda s’il n’avait pas commis une erreur en courtisant puis épousant une femme qui aurait pu être sa propre fille. D’ailleurs, peut être avait-il quelques part dans le pays un enfant de cet âge, il ne le savait pas. L’homme qu’il était à l’époque n’avait rien à voir avec celui qu’il était aujourd’hui. Elle bougea dans son sommeil et prononça son nom. Une bouffée de tendresse vint l’assaillir. Il avait admis depuis longtemps ressentir plus que du simple désir pour elle. Il ne l’aimait pas mais elle lui était devenue très chère.
Pour beaucoup, il n’était pas encore parvenu à oublier Amicia. Mais tous se trompaient. Son Amy n’était plus et il l’avait finalement accepté. Quelques heures auparavant, après qu’il eut prononcé ses vœux, il était allé se recueillir sur sa tombe et lui avait parlé. Il lui avait dit à quel point il l’avait aimé et l’aimerait à jamais mais que ce petit bout de femme qu’il venait d’épouser avait réussi à le faire se sentir vivant comme il ne l’avait plus été depuis le jour où elle avait poussé son dernier soupir entre ses bras. Il lui promit de ne jamais l’oublier, de faire en sorte que leurs enfants deviennent des adultes dont ils pourraient être fiers. Et lorsque ceux-ci l’avait rejoint, il pleurait car venait de lui dire adieu.
Maintenant, il était là avec cette femme-enfant qui était désormais la sienne et qu’il avait peur d’aimer. Elle ne demandait que cela mais il en était incapable. Il refusait de l’aimer et de la perdre comme il avait perdu Amicia. Il lui caressait la joue quand elle ouvrit les yeux.
- Guy ?
- Je t’ai réveillée ?
- C’est agréable.
- Dites-moi Lady Gisborne, il va vous falloir perdre cette fâcheuse habitude de venir dormir dans la nursery. Votre place n’est plus ici.
- Où est-elle ?
- Avec moi …
- Pas là-bas Guy …
- Je m’en doutais, c’est pourquoi, j’ai fais transférer une partie de mes affaires dans la chambre que tu as occupé pendant ta convalescence.
- Tu comprends ?
- Je comprends mais ne me demande pas d’effacer sa présence.
- Je ne le ferais pas.
- Bien, maintenant, mets tes bras autours de mon cou, je t’emmène dans tes nouveaux quartiers. Tu ne reviendras ici que pour y embrasser les enfants avant qu’ils ne s’endorment.
- Aelys est fâchée, lui dit-elle alors qu’il la soulevait.
- Elle craint de me voir oublier sa mère.
- Ce qui ne risque pas d’arriver.

Ignorant sa remarque, Guy l’emmena jusque dans leur chambre où il la déposa sur le lit avant de l’embrasser. Il mit dans ce baiser tout ce qu’il ressentait pour elle. Il voulait la rassurer, lui donner confiance en l’avenir. Très vite la passion prit le pas sur le reste et ils firent l’amour pour la première fois en tant que couple marié. Si leurs étreintes précédentes avaient été satisfaisantes, cette fois-ci, parce qu’il se savait attaché, il y a eu cette étincelle qui rendit cet instant magique. Pour la première fois, elle vint se blottir contre lui et s’endormit le sourire aux lèvres. Ce ne fut qu’à cet instant qu’il se laisser aller au chagrin d’avoir fait ses adieux à Amicia.

Six semaines plus tard ...

Guy fut réveillé par un courant d'air froid. Gaëlle avait tiré toutes les couvertures à elle et s'y était enroulée. Doucement, il l'a secoua pour qu'elle se réveille. Elle ouvrit les yeux, le regarda et sourit.
- Je t'aime, lui dit-elle avant de se rendormir.

Elle était désarmante. Depuis ce fameux jour dans la forêt, elle refusait de lui dire qu'elle l'aimait. Il avait été prévenu mais cela lui manquait. Il n'avait que ces instants où elle était entre l'inconscience et le réveil pour l'entendre dire ces trois mots magiques. Il parvint à récupérer un coin de la couverture et tira dévoilant le corps de son épouse et le renflement de son ventre. Elle portait son enfant. Il allait de nouveau être être papa. C'était une sensation particulière, un mélange de fierté et de déception. Il posa délicatement la main sur le ventre de Gaëlle. Ce troisième enfant, il l'avait voulu avec Amicia, il l'aurait avec Gaëlle. Il savait qu'elle désirait un petit garçon. Il l'avait entendu en parler avec Marian. Elle voulait un fils qui lui ressemblerait et qui l'aimerait comme Guillaume aimait sa mère. Elle voulait en fait, un moyen de l'aimer à travers l'enfant. Sa main remonta vers sa poitrine. Son corps changeait, ses seins s'alourdissaient. Une femme allait naître en même temps que leur bébé. Sa femme.

Spoiler:

La main dans ses cheveux, Gaëlle le sentit se raidir. Une fois de plus, le fantôme d'Amicia venait le hanter. Elle ne le laisserait jamais en paix. Guy ne lui avait jusqu'ici jamais donné la moindre occasion de se plaindre de lui ou de son comportement. Chaque soir, elle s'endormait contre lui et le matin la voyait se réveiller dans ses bras. Mais s'il lui avait donner son corps, son âme ne serait jamais à elle. Elle avait fini par l'accepter. Il ne l'aimerait jamais. Elle soupira.
- Quelque chose ne va pas? Lui demanda son mari.
- Non ... je vais bien. Tu es là avec moi... je vais bien.

Au petit matin, Gaëlle descendit dans la grande salle pour y rejoindre son mari qui était habillé et prêt à partir.
- Un problème?
- Toujours les mêmes villages qui se font la guerre. Je vais devoir sévir cette fois-ci.
- Seras-tu absent longtemps?
- Pas plus d'une nuit, je te le promets, lui répondit Guy en souriant. Tu es superbe ce matin.
- J'ai passé une bonne nuit.

Elle avait rougit. Une fois de plus, elle était parvenue à le désarmer. Elle n'avait aucune inhibition lorsqu'ils étaient au lit mais devenait timide en dehors. Il l'attira à lui et l'embrassa. Elle passa ses bras autours de son cou. Toujours enlacés, il lui dit:
-Tu vas me manquer
-Moi? Ou mon corps?
-Ne gâches pas ce moment. Tu vas me manquer, toi, tes sourires, ton air mutin, ta façon d'hésiter avant de me prendre la main, le dernier baiser que tu déposes sur ma peau avant de t'endormir la tête sur mon coeur. Tu vas me manquer Gaëlle.
-Et moi papa? Je vais te manquer? Demanda alors Aelys.
-Bien sûr ! Répondit Guy en se détachant de son épouse pour prendre sa fille dans ses bras. Je n'aime pas être éloigné de vous.
-Pourquoi tu ne pars pas avec Gaëlle? Tu emmenais toujours maman avec toi.
-Je n'ai jamais emmené maman quand elle t'attendait ou attendait Guillaume.
-Oui mais maman tu l'aimais... elle.

Les poings serrés, Gaëlle ne disait rien et acceptait la méchanceté enfantine d'Aelys. L'enfant souffrait et était terrorisée à l'idée de perdre son père à cause d'elle ou de son bébé. Elle aurait juste aimait que Guy prenne cause pour elle mais il ne le ferait pas.
-J'aimais ta maman oui. Maintenant princesse, je dois y aller. Tu seras sage?
-Je te le promets papa.
-A demain, lui dit-il en l'embrassant. Puis se tournant vers son épouse. Prends soin de toi, ne fais aucun effort superflus. Soit sage aussi.
-Promis papa.
-Je préférerai un autre mot que papa.
-Promis mon coeur ... souffla-t-elle

Le sourire aux lèvres, il déposa un baiser dans le cou. Il avait eu ce qu'il voulait.
- A demain.